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Holden Caulfield

30 juin 2022

clé USB

Cela s'est passé le dernier jour de juin. Je commençais tout juste à faire mes cartons, je triais les manuels que je garderais et ceux que je déposerais dans la rue, les stylos qui fuyaient et ceux encore en état de fonctionner, quand j'ai trouvé une clé USB au milieu d'étiquettes.

Cette clé contenait tout ce que je croyais avoir perdu, les cours, les textes et surtout les photos des années 2010, ce qui correspondait à une période allant du lycée à la fin de la licence.

J'ai regardé toutes les photos, il m'a fallu plusieurs heures. J'ai dû faire des pauses, trouver des distractions – envoyer un sms, étendre le linge, continuer à remplir un carton – tellement l'émotion était grande. Si prenante que j'en avais les larmes aux yeux.

J'étais heureuse bien sûr, car comme je l'ai dit je croyais avoir perdu ces documents du fait de changements réguliers d'ordinateur. J'avais d'ailleurs demandé à Nadine si elle avait des photos datant de cette époque, car je pensais vraiment ne plus rien posséder. Mais j'avais aussi une curieuse impression de gêne, je me sentais presque coupable. Comme si je violais ma propre intimité. Que je n'avais pas le droit de faire défiler ces photos qui appartenaient à une autre. J'ouvrais le journal intime d'une inconnue.

Je n'ai pas encore relu les textes que j'écrivais, il y en a beaucoup trop, il faudra prendre le temps. J'ai fait une deuxième sauvegarde de tous ces documents, je ne voulais plus laisser mes souvenirs au hasard. J'avais désormais besoin de recul.

Ce qu'il m'est resté de cet après-midi suspendu, c'est l'envie, et même la nécessité, d'écrire.

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14 août 2020

Poème, été 2020

 

Demain tu t'enfuiras de ce pays,

Barbe broussaille cheveux aussi.

Quand à l'horizon tu verras un peu de moi,

C'est que tu auras réussi.

 

Au loin, au loin, à l'horizon tu regardes,

Tu cherches un peu de mon parfum,

Te rappelles-tu comme il sent l'été,

Les forêts mouillées après la pluie?

 

Tu espères accoster les jours prochains,

Mais cordes et vents grondent sur le pont,

Te reverrai-je aussi vite que tu le penses,

Alors que le ciel tombe sur toi.

22 juillet 2020

Le bus de 17h12

J'avais passé une journée épuisante, trop d'appels, de réunions, de courriers, je n'en pouvais plus, je voulais changer de vie, je voulais écrire un roman. Je pensais à ça quand je l'ai vu. Ce garçon dans le bus, j'étais juste derrière lui, debout. Je voyais sa chemise épouser les contours de ses épaules, ou l'inverse, et le pantalon noir, droit, qui remonte les fesses, qui arrive aux chevilles, qui laisse voir les chaussures de ville soigneusement cirées. Ce garçon, lycéen sans doute, m'a émue par sa jeunesse et sa candeur. Quand je suis sortie du bus, j'ai abandonné l'idée du roman, et j'ai suivi le garçon.

 

Il marchait d'un pas très tranquille, je devais me forcer à ralentir pour garder une certaine distance entre nous. Il a longé l'avenue Carnot, au carrefour de la boulangerie il est passé au feu rouge alors que les voitures s'élançaient, j'ai dû m'arrêter, je l'ai perdu. Chaque jour, chaque semaine, je reprenais le bus de 17h12, mais je ne l'ai plus jamais revu.

 

J'ai repensé au temps où j'étais moi-même lycéenne, quand chaque rayon de soleil me semblait destiné, quand je me sentais promise à un avenir exceptionnel.

 

J'ai imaginé ses parents, plutôt riches vu la maison (et les chaussures!), endettés sur trente ans mais ça vaut le coup. Le carrelage dans la cuisine, le bureau qui sert surtout de débarras, les volets fermés en été, la belle vaisselle du dimanche. Je l'ai imaginé lui, un peu gauche, me montrant sa chambre. Et je suis rentrée, pour enfin le commencer, ce livre.

 

 

4 janvier 2018

Une bonne année.

Le mardi 2 janvier, à 21h, je descendais la rue de Versailles, pour rejoindre mon amoureux. Ça sentait le froid et la viande grillée (comme un midi, un 15 août, une famille réunie autour d'une grande table en pin).

J'ai relu les gros morceaux de Flaubert, Madame Bovary et L’Éducation sentimentale. Et c'est ainsi qu'en descendant la rue (de Versailles), j'ai prêté à chaque femme que je croisais des bandeaux noirs à la place de ses cheveux dénoués.

 

13 octobre 2017

Que le dernier soit le meilleur.

Elle voudrait écrire un livre sur, dans l'ordre:

- une femme nue des cheveux au cou

- une piscine recouverte de sa bâche en octobre

- un ciel sans étoiles

- un repas du dimanche, de préférence un lundi

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29 juillet 2016

Ulysse est un garçon compliqué (2)

« Ulysse, baisse le volume, y'en a qui essaie de dormir! »

La voix de sa sœur, stridente, énervée. Elle ne subit pas un prénom à coucher dehors, elle. Catherine. Ses parents ont peut-être été pris au dépourvu, pour la première, ils ont regardé le calendrier des postes, ou fouillé leur mémoire jusqu'à arriver à une tante éloignée qui s'appelait Catherine, ou alors c'est le souvenir d'un bouquin lu sur un banc de fac, une héroïne foireuse qui porte son cœur entre les mains. Qu'importe ! se dit-il à voix haute. « Ulyysse, ta gueule ! » C'est une manie ça, d'ajouter un deuxième i. Il marmonne que ouais, il va baisser la zik, et il saute du lit, menace de se tordre la cheville, allume son ordinateur.



Ulysse s'est inscrit sur un site de rencontres, car il a beau chanté les filles, il n'en connaît pas vraiment la couleur. Une fois, pour se marrer, il avait fait la liste de la femme parfaite. Il avait écrit, en revenant à la ligne pour chaque attribut, blonde, gros seins, mince, conciliante (il avait hésité avec soumise et puis avait choisi conciliante, rapport à sa mère si elle fouillait sa chambre), redevable, fascinée par MOI. Il avait d'abord accroché la feuille sur le mur, puis l'avait glissée dans un cahier, et enfin l'avait coupée en plusieurs morceaux foutus à la poubelle. Parce que Simone de Beauvoir, en haut de l'étagère, l'empêchait de dormir.



« Tu sais la différence entre une bonne sœur et... » il n'écoute plus la suite, il attend la fin du repas, son père finit de saucer avec du pain, il reste encore le fromage, et la tarte aux pommes, et d'ici, sur sa chaise en merisier, il croit entendre le doux bruit d'un nouveau message sur le site. Sa sœur lui demande s'il est amoureux, hein de quoi répond-il, sa mère renchérit, oh oui c'est qu'il est amoureux mon fils, en souriant. Ulysse déteste quand sa mère parle comme ça, il lui dit, « maman surveille ton langage, j'aime pas les c'est qui qui. » Elle est vexée. Il partait pourtant bien dans la vie, son fils, avec un prénom pareil.

25 juillet 2016

Ulysse est un garçon compliqué.

J'aime regarder les filles. Il remet toujours la même chanson. Quand elles se déshabillent résonne sur les baffles en plastique de sa chaîne hi-fi, et lui jette son t-shirt, qui atterrit sur le dossier de la chaise, bien ouéj pense-t-il. Il porte ses lunettes de soleil.

 

Regarder les fiilles. Il aime bien insister sur le deuxième i, là, torse nu sur son lit, son poing fermé servant de micro. La prochaine fois, il devra être plus raccord niveau micro (enfin main) et bouche. Il y a encore des ratés.  

29 octobre 2015

Incipit

 Marguerite Isembart a quarante trois ans quand elle décide d'avoir un chat. De préférence persan. Joël proteste, c'est un mauvais choix. Il insiste, c'est vraiment un mauvais choix mon coeur. Ca va laisser des poils partout je te dis, toi qui déteste passer l'aspirateur. T'en retrouveras sur le canapé, tes jupes, et jusque dans notre lit, tu vas voir.

Par esprit de révolte, puisqu'à quarante trois ans on a encore le droit, elle récupère le chat deux jours après. Elle le nomme Tolstoï. Elle sait que les noms russes sont devenus classiques en matière féline, mais elle n'a pas d'inspiration. Tolstoï, en définitive, ça reste plus élevé que Felix.

 

Grâce à Tolstoï, Marguerite peut apprécier l'homme qu'elle a épousé à sa juste valeur. Le troisième jour après l'arrivée du chat, Joël, rentrant dans le salon un matin, hurle que ça sent la pisse, mais qu'il est con, bordel, je vais le jeter par la fenêtre ce con. Elle se réveille en sursaut, surprise par les cris qui proviennent d'en bas. Non mais, regarde ce que ton chat a fait. Il a pissé dans le ficus. C'est mieux que sur le tapis non ? dit Marguerite, en enfilant la deuxième manche de son peignoir. Il est à moitié propre, c'est déjà ça. Joël part dans la cuisine, parce que l'eau boue, et d'ailleurs ce n'est pas la seule.

Une semaine après le premier drame, Tolstoï choisit de vomir, juste à côté du tapis. Peut-être pour soutenir les dires de sa maîtresse ? Joël devient rouge, et tremblant, et murmure « j'me casse ». Il prend son manteau, son portefeuille et ses clés, essuie son front couvert de sueur, et franchit le seuil en claquant la porte très fort. Marguerite dit au chat, mais alors c'est les croquettes ou la pâté que tu n'as pas digéré mon chou ? avant de s'armer de sopalin et d'éponge. Pour effacer le crime qui annonce la fin d'une vie tranquille.

22 août 2015

Juillet / août 2015

Elle se vaporisait de l’eau de mer à 100 balles sur les cheveux, très satisfaite d’elle-même.

 

Il faut se faire une raison, la couleur verte, à la fois criarde et éteinte, de la GMF, ne correspond absolument pas à ma nouvelle bibliothèque.

 

D’émotion, je me suis agenouillée face à la machine à laver. Et, me perdant dans la rotation régulière du tambour, j’imaginais ces nouvelles perspectives qui s’offraient à moi.

 

Qui voudrait sortir avec un joueur de pipeau ?

 

A la perspective de relire Walden ou la vie dans les bois, je frétille comme un petit poisson.

 

Après des jours de recherche, j’ai enfin trouvé un système de classement « assez convaincant » pour ma bibliothèque.

 

Je me rendis compte que le seul signe qui attestait de mon travail était le blanco sur mes doigts.

 

Note à moi-même : ne pas vérifier une, mais deux fois, les poches des pantalons avant de lancer une machine. Les mouchoirs en papier sont de petits êtres vicelards.

 

Au moment de payer, elle regarda la grille tarifaire, et se dit mentalement « adieu carte étudiante ».

 

Parfois, j’oublie mon café, pourtant posé à côté de moi. Et le café froid, c’est ce qu’on appelle un oxymore.

 

Dormir seul est un luxe que l’on n’ignore plus après une semaine en auberges de jeunesse.

 

Craintivement, je regardais ce cahier vierge.

J’aimais assez mon nouveau bureau, long et mince, en bois brut. Une « simple table » disait ma mère. Pour moi, il représentait l’étendue de ce que j’allais écrire.

Je voyais par le velux le ciel s’assombrir, et les gens passer sur la cour, des deux fenêtres. Personne ne tournait la tête vers mon appartement, malgré les lumières allumées, ce qui m’a d’abord étonnée. Et puis je me suis rendue compte que les fenêtres étaient surélevées, plus proches du premier étage que du rez-de-chaussée.

J’ai repris mon stylo plume parker. Je l’avais acheté il y a quelques années, car je trouvais ça assez classieux. Je l’avais rangé avec les cartouches dans un tiroir, et j’avais oublié le tout, pendant longtemps. Mais finalement, en dehors de toute considération modesque, je me suis rendue compte que je l’aimais bien, ce stylo plume. Et même, je l’affectionnais. Quand j’ai voulu le réutiliser, évidemment, l’encre ne coulait pas. J’ai alors humidifié mon doigt de salive, et je l’ai passé sur la plume. Un souvenir de collège, où seul ce stratagème parvenait à faire couler l’encre jusqu’à la pointe, après les grandes vacances d’été.

 

Oui, « modesque » existe bel et bien.

24 juin 2015

Dernière séance.

Elle revient, une dernière fois. Elle va mieux. Elle se le répète plusieurs fois par jour. Mais la méthode Coué a ses limites.

Elle a rencontré quelqu’un de bien.

C’est la dernière fois qu’elle foule la moquette bordeaux, qu’elle attend son tour sur la chaise en teck, qu’elle lit les prospectus 15-25 ans sur les addictions. Elle se revoit il y a deux ans, quand il avait ouvert la porte et l’avait laissée entrer. Il portait une grosse montre fluo en plastique, le genre de montre à la mode, et il avait retroussé les manches de sa chemise. Il avait des lunettes aux branches transparentes. Elle avait trouvé ça franchement moche, tout comme le bureau. Mais, depuis, les meubles avaient changé, et l’ensemble s’était amélioré. Elle regrette toujours l’absence de divan.

 

-          Je ne lui ai rien dit sur mes visites, ici.

-          Pourquoi ?

-          Pas parce que j’avais honte, c’est sûr. Mais c’est tout de même effrayant, pour les autres, d’aller voir un psy. Ça veut dire qu’on a de bonnes raisons.

Elle se frotte les mains, puis reprend en ricanant.

-          De douces névroses, par exemple. Je ne veux pas passer pour la foldingue de service. Je choisis ce dont je dois lui parler. Du temps, de mes lectures, des derniers articles parus dans Télérama. Ce genre de choses. Et ne me dites pas que je m’invente une vie. Je le sais bien. Seulement, j’ai besoin de refaire peau neuve.

-          Et quelle est cette nouvelle vie ?

-          Emmerdante. »

 

Elle a continué pendant quarante sept minutes à parler d’elle. Le temps, c’est de l’argent. Et elle a signé son dernier chèque. Il lui a dit, en guise d’adieu, « vous savez, une psychanalyse, ce serait peut-être mieux pour vous ». Elle a répondu que le principe de dépenser une grosse somme d’argent comme motivation ne lui plaisait pas. Elle a mis ses lunettes de soleil, dans le hall, et puis elle a pris l’ascenseur. Il s’est senti soulagé. Il s’est même payé le luxe de faire attendre son prochain rendez-vous, et a allumé une cigarette à la fenêtre.

 

Elle a passé trois jours chez elle. Elle est peu sortie. Le « quelqu’un de bien » est venu la rejoindre la deuxième nuit. Il a pris soin de son propre plaisir. Il est parti très tôt le matin, sans prendre de petit-déjeuner.

 

Elle avait envie de parler. Elle s’est assise dans le fauteuil du salon, face à un miroir en pied. Elle a croisé les jambes et pris une grande inspiration. Et puis elle a fait la conversation, seule.

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