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Holden Caulfield
27 mai 2013

Le temps des aveux (3 et fin).

Il avait appris tous les ressorts de la discipline au fur et à mesure des consultations, les manies, les hochements de tête et les « mmh ». Il savait mettre en confiance simplement avec un regard bienveillant et un air intéressé. Il pensait que plus rien ne l’étonnerait. Il avait connu les menaces de meurtre ou de suicide, les pleurs et les crises de nerfs. Mais cette femme l’intriguait, et même l’excitait. Elle avait les cheveux blonds cendrés, et des lunettes noires, qu’il y ait ou non du soleil. Elle ressemblait à une actrice en grande souffrance. Il l’avait vu pour la première fois le visage défait. Il lui avait demandé ce qui n’allait pas et elle avait dit qu’elle n’était pas heureuse, que ce monde n’était pas fait pour elle. Il ne la voyait pas comme une folle. Elle avait seulement un excès de sensibilité.

-          Avez-vous remarqué à quel point le soleil se couche tard ? Je préfère quand il fait nuit de bonne heure. C’est plus intime, plus chaleureux. C’est tellement bon d’être en hiver, quand il fait froid dehors. Il est cinq heures, il fait nuit, et on est chez soi à boire du thé fumant en écoutant la radio.

Elle s’arrête un instant et contemple le ciel bleu. Elle soupire. Et reprend sur un ton plaintif.

-          Qu’ai-je fait de mal ?

-          Pardon ?

-          Tous mes souvenirs heureux ne me reviennent pas en mémoire. Ils me tournent le dos. Je les appelle, mais je reste sans réponse. Vous trouvez ça normal ?

-          Pourquoi voulez-vous vivre dans vos souvenirs ?

-          Parce que ça fait passer le temps.

Elle rit jaune.

-          Je ne me souviens que d’une chose, quand j’étais enfant. Les trains faisaient deux notes quand ils se croisaient. Je les entendais de chez moi, même quand la fenêtre était fermée.

Un temps. Elle croise ses jambes et passe une main dans ses cheveux.

-          Plus je pense à mes histoires, et plus je me dis que je n’ai jamais été amoureuse. C’était purement sexuel vous comprenez ?

Il se racle la gorge en signe de gêne.

-          En ce moment, je sursaute la nuit, toutes les nuits. C’est étrange. Je rêve que je tombe, ou alors que je suis en train de monter un escalier et que je rate une marche. Et puis mes muscles se contractent. C’est effrayant.

-          C’est parce que vous connaissez un changement.

-          Lequel ?

-          En fin de compte, je pense que vous devenez heureuse.

-          Et c’est ça le changement ?

-          En quelque sorte.

-          Vous ne résolvez pas les problèmes vous. Vous vous contentez de poser les questions, ou de rester évasif. C’est plus facile. Et vous recevez de l’argent pour ça. En fait, excusez-moi des propos, mais vous êtes payé à ne rien foutre. Enfin voyons, je peux demander à un ami de m’écouter et de poser de temps en temps une question en rapport direct ou éloigné avec ce que je raconte et c’est joué. Je n’ai pas besoin de vous, pas du tout.

Il ne bronche pas.

-          Vous êtes d’un égoïsme sec mon petit monsieur. Votre sale fric vous aveugle, et vous ne voyez pas ma peine.

Il reste impassible.

-          Vous n’êtes pas surpris ?

-          C’est une phase normale. Quand on approche de la fin. La colère envers moi.

-          On n’approche pas de la fin. C’est fini.

Elle se lève, prend son sac de marque et son imperméable beige foncé. Elle ouvre la porte et se retourne une dernière fois.

-          Je n’arrive pas à oublier son visage. Ce doit être l’amour.

Il reste dix minutes sur son fauteuil, l’air songeur. Il espère qu’elle a bien réglé la séance au secrétariat, avant de partir.

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