Chapitre 3, Extrait.

Sa blouse vaporeuse ne suffit pas à cacher sa poitrine qui monte et descend au rythme de la respiration trop forte. Ses deux mains sont appuyées sur la rambarde du pont. Son corps est un peu penché en avant. Elle ferme les yeux. Elle sent des gouttes de sueur couler des aisselles et glisser le long de sa peau. L'odeur des algues en décomposition lui donne des hauts-le-cœur. Elle essaie de se dominer, commande sa respiration. « Inspire profondément, expire, reste calme. », se dit-elle. Dans un dernier moment de lucidité, elle s’assoit, cette fois c'est le dos qu'elle presse contre la rambarde. Elle s'appuie de toutes ses forces sur les barres de fer, comme pour percevoir la réalité, pour s'en imprégner. Sa tête tourne, elle n'arrive pas à se concentrer sur un point fixe, tout devient brouillard. Et le présent tombe dans le noir. Lorsqu'elle reprend ses esprits, elle reste quelques minutes repliée sur elle-même, sa joue contre le sol. Elle remarque les gros clous rouillés, les planches de bois abîmées, les minuscules cailloux. Sa tête menace d'exploser, ses membres sont endoloris, courbaturés, comme après une longue course dans un froid polaire.

Elle n'en était pas sure, maintenant elle sait. Elle attend un enfant. Elle n'est pas heureuse. Elle craint la réaction d'Antoine. L'enfant roi ne partage pas.

Il y a quelques mois elle aurait cru qu'il serait ravi d'être père, que leur vie n'en serait que plus belle. Elle aurait préparé la chambre du bébé, dévoré des livres pour être une bonne mère, acheté de minuscules chaussons. Elle se demande quelle stratégie adopter. Elle veut le garder. Elle veut la garder, elle le sait, c'est une fille. Elle hésite sur le choix du prénom. Elle se ressaisie. Au début, elle pense à cacher son ventre, oui mais jusqu'à quand, et puis après, que faire. Alors elle décide de jouer la naïveté. De mimer sa surprise et sa joie. S'il l'aime, il ne pourra pas aller contre son bonheur.