Retour.

Le bureau n'est plus le même depuis la dernière fois. Les meubles blancs ont été changés pour d'autres en bois brut. Les fauteuils sont plus imposants. Une horloge silencieuse a remplacé celle qui faisait un bruit infernal. Les stores sont à-demi fermés.

 - Comment allez-vous aujourd'hui ? Vous avez finalement décidé de revenir me voir ?

- Vos chemises me manquaient. Je vais bien, parfaitement bien. Dis donc, c'est cosy chez vous.

- Vous souriez trop pour être honnête.

- Et vous pas assez.

- J'ai dessiné un vase. Moins il a d'eau, plus vous allez mal. A vous de tracer le niveau d'eau.

Elle prend le crayon, le repose.

- C'est fait. Le vase est vide. L'eau a croupi, faute d'être changée. Et puis elle s'est évaporée. Aucun n'a pris la peine d'y mettre des fleurs.

- Vous dormez bien ?

- Comme un chat. Je me retourne dans mon lit, j'ai chaud, je me retourne encore. Et quand je m'endors enfin, c'est pour me réveiller quelques instants après, en sueur.

- Vous souvenez-vous de vos rêves ?

- Une petite maison toute mignonne au bord d'un ruisseau, avec des fleurs et des gazouillements d'oiseaux. Je cours pour attraper des papillons qui dansent au milieu d'un ciel bleu. Et puis un monstre surgit, énorme. Il rougeoie sous la lumière du soleil. Il ouvre sa grande gueule noire, et des dents pointues apparaissent. Et il me mange. Toute crue.

Elle le regarde en souriant.

- Vous venez de l'inventer je suppose ?

- Oui. Je ne rêve pas.

- Tout le monde rêve. Vous ne vous en souvenez pas, c'est différent.

- Quand est-ce qu'on va parler de mon enfance ? C'est la prochaine étape, non ? La prochaine étape vers la guérison.

- Quand vous aurez confiance en moi. Quand vous arrêterez de juger chaque chose, chaque personne, quand vous ne regarderez plus ma chemise avec un air de dédain, quand vous tomberez de votre piédestal pour vous rendre compte que vous n'êtes qu'un être humain comme il y en a des milliards, un être humain faillible. Soyez sincère, au moins une fois.

- Je voudrais être enterrée nue dans la neige. Pour que le froid brise mes os et mon cœur. Pour que la glace arrive enfin à anesthésier ma souffrance.