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Holden Caulfield
20 mars 2015

L'attente.

L'horloge à pendule sonne quatre heure. La salle à manger est vide. Le carreau rouge est froid sous ses pieds. Elle devine les contours des meubles sous la lumière du dehors, les volets n'ont pas été fermés. Dans la pièce voisine, la table est mise pour le lendemain matin. Les signaux de veille du lecteur DVD donnent un air abandonné à la pièce. La couleur, sûrement.

L'air froid s'engouffre sous sa chemise de nuit. Elle s'approche de la cheminée, mais les bûches ne sont plus qu'un tas de cendres froides. Elle se sert un verre d'eau, ouvre la fenêtre et allume une cigarette. Elle regarde la nuit. Elle ne parvient pas à distinguer l'herbe des arbres. De ce côté là de la maison, il n'y a pas de lune. Elle entend le chat miauler. Elle prie pour qu'il ne réveille personne.

Elle n'arrivait pas à dormir. Elle s'est retournée au moins dix fois dans le lit, sur le dos, sur le ventre et sur le côté, avant de se lever. Elle a fait trois pas dans la chambre, et s'est recouchée, elle a dit « non ça ne sert à rien ». Elle est allée aux toilettes, elle s'est rincée la bouche, elle a regardé son reflet dans la glace. Et puis elle est descendue. Elle a fait attention sur la dixième marche, pour que celle-ci ne grince pas. Le bois a émis un petit couinement, mais rien d'alarmant.

Elle est assise sur le canapé. Elle espère qu'elle a bien éteint son mégot et qu'il ne crame pas la pelouse. Elle caresse ses jambes, machinalement, pour se réchauffer, ou se donner du courage. Finalement, elle allume le lampadaire couleur or, un peu usé à certains endroits, notamment en bas. Elle voit les magazines dans le panier à côté de la télé, mais rien ne la tente. Le temps passe, le temps jaune phosphorescent (la box indique l'heure).

N'espérez rien, elle restera seule cette nuit. Seule dans cette grande maison, à maintenant quatre heure vingt sept. Je pourrais inventer un cambriolage, un incendie, une révélation. Ou le surgissement de vieux souvenirs, un peu d'amour, un décès, un grand événement. Je déteste les grands événements.

Elle restera sur le canapé, assise en tailleur, jusqu'à environ cinq heure. Elle cachera ses méfaits (le verre sera rincé, la fenêtre fermée et la porte du couloir entrouverte, comme à l'arrivée). Elle se recouchera dans le lit blanc en fer forgé. Elle se dira que tout est blanc dans sa chambre, l'armature du lit, les draps, les meubles, la tapisserie, les plaintes, le plafond, la fenêtre. Elle s'inventera des histoires assez obscènes, des histoires de cul, pour s'endormir. Mais elle n'y arrivera pas. Elle se retournera encore. Elle aura chaud, elle enlèvera les draps. Elle aura froid, elle ira prendre une couverture dans l'armoire. Elle lira trois lignes d'un roman compliqué qu'elle a commencé, ça l'ennuiera, elle arrêtera. Elle s'endormira quand ma page sera finie. Il reste trois lignes, trois lignes pour allumer la lampe de chevet, ouvrir le tiroir du bureau, trouver une feuille et un crayon, écrire un paragraphe stupide digne de la collection Arlequin, ouvrir un autre tiroir, sortir les photos non classées, se voir coup sur coup à deux et seize ans, et puis éteindre la lumière, remettre en place les oreillers.

Elle dort.

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