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Holden Caulfield
1 juin 2015

Chapitre 2

J’aimais dormir sur le côté droit du lit. Je me mettais sur le côté (gauche cette fois), en chien de fusil, le dos contre la porte et le visage face à la rue. De mars à octobre - les dates exactes dépendent du climat - je ne fermais ni les volets ni les fenêtres. Avais-je peur de l’enfermement, moi qui pourtant passais des jours entiers sans sortir ?

Mon lit était très capricieux. C’était un clic-clac, le moins cher de la gamme ikea. Le conduit métallique qui reliait les roues au reste se déboitait sans cesse, et surtout dans les situations urgentes, par exemple quand j’étais dangereusement en retard. Le drap-housse aussi n’en faisait qu’à se tête. Il ne voulait pas rester en place sur le matelas. A quoi servait donc l’élastique ? C’était sûrement la machine à 90° de la laverie qui avait rétréci les draps (je n’imagine pas une seule seconde, possédant un bac +5, échouer à faire mon lit). La housse était sale, avec des traces de café ou de vin, des signes qui me rappelaient à quel point j’étais endormie le matin et le soir.

J’ai trouvé une solution à ma sécheresse créative : un livre conceptuel. J’étais une artiste, une vraie, et même une avant-gardiste. Je sentais déjà mon compte en banque grossir à mesure que mon livre se vendait. J’ai songé à faire quinze chapitres (date de mon anniversaire, et puis surtout, avez-vous remarqué qu’entre le rez-de-chaussée et le premier étage, neuf fois sur dix, l’escalier comporte quinze marches ?). Sachant que je visais un livre de 150 pages, ça faisait tout de même dix pages par objet. J’ai commencé par décrire une cigarette, parce que ça faisait très in. J’ai écrit « la cigarette ». Ponge me regardait en haussant les sourcils. Je suis sortie, à la conquête d’idées prometteuses.

J’ai croisé une femme qui fumait, ou plutôt vapotait, une cigarette électronique. Finalement, les blondes sont passées out. Et puis, le tabac est devenu aussi décadent que se foutre à poil sur scène. Je me suis assise sur un banc. J’ai ouvert le dernier Carrère. J’ai trouvé ça si bien écrit que j’ai arrêté de lire. J’ai gardé la page 136 ouverte et j’ai regardé les mots. Un homme sans âge m’a stoppée dans ma contemplation. Il m’a demandé si je connaissais un bar sympa. J’ai répondu que non. Alors là, sans se décourager, l’homme sans âge m’a proposé de prendre un verre avec lui. J’ai voulu lui répliquer qu’il ne connaissait aucun bar sympa, donc ça ne me tentait pas, mais j’étais si épuisée par mon travail d’écriture que j’ai encore dit non, et je suis partie. J’aime bien laisser les gens en plan. Ça me donne envie de les prendre en photo, pour voir leur mine déconfite et leurs bras ballants.

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