Portrait de femme.

A l'heure où les enfants partent à l'école, elle remet en place le bouquet, sur la table du salon. Elle coupe les fleurs fanées et se dit « dans deux jours, j'en rachèterai un ». Quand elle a fini sa tâche quotidienne, elle s'approche de la fenêtre, écarte les rideaux en dentelle blanche, qu 'elle n'a jamais eu le courage de changer, et regarde la rue. Elle voit les retardataires traverser le passage piéton, avec leur cartable trop lourd et leur écharpe qui traîne.

Rose n'a jamais eu d'enfant. Ni de mari. D'adolescente solitaire, elle est devenue femme aigrie, en quelques années. Elle n'a pas de chat, à cause des allergies et des odeurs, raconte-t-elle dans le couloir de l'immeuble. En vérité, Rose ne voudrait pas devenir une « veille fille à chats ». Ça leur ferait trop plaisir, aux autres. Elle sait ce qu'ils murmurent dans son dos. Une « pauvre vieille », pour les moins vulgaires. Mais ces racontars ne l'ont jamais dérangée. Au moins, on parle d'elle.

Aux yeux de tous, Rose passe pour une femme insensible, qui n'a connu ni la joie d'aimer ni le plaisir d'être aimée en retour. Et surtout, elle mérite cette solitude. Vraiment, aurait-on envie de côtoyer une telle personne ? Qui radote ses petits malheurs à longueur de temps, et surtout qui est incapable de supporter autrui ?

Rose a un joli prénom. Ses châles sentent bon l'eau de Cologne, et recouvrent ses os un peu fragiles. En vérité, elle aime les enfants. Simplement, elle n'a jamais connu un homme assez longtemps pour fonder sa propre famille. Et, dans son amour pour ceux qui incarnent ses regrets, elle n'a su que se montrer détestable.